GOUTTES NOCTURNES. vega.

Cacophonie dans la tête et dans le coeur, besoin de s'isoler, de s'exiler, ce soir est loin des soirs qu'il s'était imaginé. Y aurait eu tant d'autre choses à faire pourtant, entre parler avec les autres, les découvrir, lire un bouquin au chaud sur sa couchette, les choix étaient larges. Il les a listé, d'ailleurs, un par un pour ne rien oublier, pour conscientiser sa fuite en la rendant plus palpable ; cependant s'il restait à l'intérieur des bus, il savait qu'il finirait par manquer d'air.

Par exploser.
Apnée.

Vega en constellation unique, lui se prenait d'amour pour les extérieurs, homme d'aventures et d'aventure à ne jamais s'enfermer, il avait besoin de prendre des shoot de nature pour être plus vivant, pour se sentir exister. Alors, blouson en cuir sur le dos il descend les marches de bus pour s'engouffrer au dehors, semelles sur le béton mouillé, pénétrant sous les rideaux de pluie, là pour laver son corps de ses pensées dévastatrices. Passé qu'on aimerait oublier mais qui revient en lassitude d'habitude, il marche un peu avant de s'arrêter devant une station service, la tête lourde et encombrée. Il y a quelques âmes ici, venues s'acheter de quoi tenir la nuit, des sandwichs sous le bras, des paquets de chips pour certains, puis les voitures aussi, qui passent comme un train qu'on aurait vu passer cent fois. Lui, au milieu de cette valse humaine, demeure immobile, à regarder la vie passer.


C'est rassurant de séparer l'esprit du corps, de ne plus penser, de s'abandonner au hasard comme on lancerait des dés. C'est bon, d'être vide mais de ne pas en fait brûler le brasier des solitudes trop lourdes ; Vega, étoile solitaire, s'était habitué à ces instants de grace vetus de ses seuls regrets, ici lavés aux trombes de pluie.

Tristesse lourde.
Il est trempé des larmes du ciel.

Mais il s'en fout, car il a depuis quelques longues minutes cessé de songer au pire, ancré dans l'instant, l'ici et le maintenant. C'est terriblement libérateur, cette sensation d'invisibilité, mais il reprend conscience de ses contours lorsqu'une masse se percute à son dos. Il se retourne lentement et l'âme qu'il croise lui semble aussi paumée que la sienne. Il ne sourit pas, ne prononce pas un mot.

Au lieu de cela, il scrute de haut en bas et de bas en haut, non pas pour juger, mais pour jauger, pour estimer, pour analyser. Le garçon qui lui fait face désormais, il le reconnait, mais il a oublié son prénom. Il s'en fout en vérité, car au lieu de ça il ancre son regard dans le sien ; perdu, l'unconnu. « Non, je n'ai pas de parapluie, je préfère rester sous les torrents, ça me fait du bien. Ils en vendent dans la supérette de la station, j'ai vu des gens ressortir avec » Il renifle et replace à deux mains ses cheveux en arrière. « T'es dans quel bus encore ? Ta tête me dit quelque chose » Pas son prénom, son prénom est dérisoire, Vega veut apprendre à le décrypter bien avant de se biaiser aux syllabes d'une nomination de toute façon surement imposée. . « Tu veux qu'on aille se balader sous la pluie ? ou tu tiens vraiment à ton parapluie ? » Question posée d'un air nonchalent, alors qu'il sort une cigarette de sa poche humide et l'allume en se plaçant sous le porche de la station service, bien loin des distributeurs d'essence.




( C ) NOCTEM

Il y a du chaos dans son regard, quelque chose de l'ordre des âmes blessées, brisées, tranchées, comme s'il tentait de survivre mais que ses yeux, depuis longtemps voilés, ne parvenait plus à mentir. Vega y décelait de la souffrance et des noirceurs cachées au coeur d'abysses d'une cruauté quelconque, attentif aux détails quand d'autres se seraient contentés des parures, lui ne croit que son instinct.

L'inconnu était fait de ces beautés discrètes et sincères, le corps en drapeau de vulnérabilité quand les mots, surement, servaient de bouclier. Et dans sa voix ne reflétait que la lassitude d'une vie encaissée trop fort, à l'instar des coffres que l'on bourrait de bagages quand bien même il n'y avait plus de place nulle part. Il l'observe et il sent que ce n'est pas comme d'habitude, qu'au lieu de se drapper de son éternelle indifférence, cette fois il s'intéresse, et surement que son état en est pour beaucoup dans ce processus, surement. Mais il ne refoule pas ce besoin quasi impulsif de retirer son cuir pour le lui déposer sur les épaules.

Le geste est lent, il coince la cibiche entre ses lèvres en fronçant les sourcils et enroule le blouson autour de lui, contre sa nuque fine, avant de revenir se saisir du baton cancéreux et d'en tirer une taff. « T'en veux une ? » Qu'il demande en l'entendant dire que l'argent manquait, sortant son paquet pour le tendre vers lui. « Sers-toi » Et ne refuse pas. Les gentillesses de Vega étaient de trop courtes durées pour être ignorées. Il sourit en coin, virgule sur la pointe de sa bouche lorsqu'il l'entend écorcher le nom d'un des bus, c'est doux, comme erreur, il n'en tient pas rigueur. « Je suis dans le Doobie, avec Craig. Y a même une lampe en forme d'altère, c'est un fou de sport à ce qui parait. »

Puis il se fait arroser et Vega ne cille pas, désormais en t-shirt, ne pouvait-il rien lui offrir de plus face au froid et à la pluie. Le visage strié par ses propres cheveux, il se dit qu'il ne doit pas avoir l'air plus glorieux. Haussement d'épaule, il ne répond pas à la question "tu voulais aller où après", car il n'en a aucune foutue idée. Mais le jeu proposé éveille son intéret et ses curiosités, et balançant le mégot dans une flaque, il lève le nez en voyant l'averse se tarir légèrement. « Ca me va ! » Pour ne pas dire que cela l'enchante de jouer, lui l'enfant qui avait grandit un peu trop vite.

Il marche alors, sans réel but, accompagné, longeant le chemin de bitume en restant sur le trottoir mais en préférant être en équilibre sur le bord, comme s'il se tenait sur une poutre. Ses bras servent de repère d'équilibre et parfois il les remontent pour ne pas tomber. « Moi c'est Vega, by the way. Et toi ? » Amorce d'interaction, il s'invente sociable pour tenter de le connaitre un peu, avant d'arriver au premier croisement. Les yeux rieurs, charmé par l'idée, il sort une pièce de sa poche de jean et la lance en l'air avant de la récupérer dans sa paume et de claquer le tout sur le dos de son autre main. « Pile. Allons à gauche ». Le chemin s'enfonce entre les maisons, il engage le pas pour poursuivre l'épopée. « Ca t'arrive souvent de te balader sous la flotte ? Je veux dire, c'est volontaire ? ou tu t'es fait surprendre par l'averse ? » La question est murmurée, alors que lui continue ses exercices d'équilibre sur le bord du trottoir. Le ciel, lui, comme par enchantement, a cessé de pleurer.





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